Médias et Techno
Diffamation en ligne
Une technique d'escroquerie en ligne particulièrement vicieuse et abjecte fait de plus en plus de victimes. Le concept ? Impliquer la personne dans un scandale bidon et lui demander de payer
Pertinence
Dénoncer de faux scandales, la nouvelle escroquerie à la mode ?
Tout semble l'indiquer quand on voit l'écosystème nauséabond qui se développe aujourd'hui sur le créneau de la délation sur internet.
Le principe tient en quelques mots : on dénonce les agissements imaginaires d'un individu pour le contraindre à payer en échange du retrait de ces accusations. Cette pratique s'inspire d'une question simple : combien est-on prêt à payer pour se débarrasser d'une rumeur montée de toute pièce, hautement préjudiciable et terriblement persistante ?
Plusieurs sites internet se sont fait une spécialité de ce type d'escroqueries. Leurs auteurs capitalisent sur la viscosité du doute. Dites de quelqu'un qu'il est un escroc, étayez vos dires avec un ou plusieurs faux grossiers et accompagnez-les de détails invérifiables. Le doute aura pris, et quelle que soit la qualité des preuves apportées par la cible de l'opération quant à sa plus parfaite innocence, il restera toujours un peu de ce doute à lui coller à la peau.
Bâti sur le principe du fumeux "il n'y a pas de fumée sans feu", le doute s'instille dans l'esprit de l'entourage. Et, une fois en place, il se n'éteint jamais totalement.
La rolls des escroqueries en la matière : Ripoff Report
Cette plateforme offre la possibilité à n'importe qui de créer des “rapports” sur n'importe qui, c'est à dire des articles dénonçant d'autres individus ou entreprises. Le contenu de ces article est entièrement libre. On peut tout y dire, tout y affirmer, tout partager, y compris les coordonnées complètes de la personne concernée.
Le piège se referme très vite. Une fois publié, un tel rapport est indéboulonnable. Impossible de le retirer du site, même pour la personne qui l'a publié. Impossible ? Pas tout à fait en fait, puisqu'on peut souscrire au service "VIP Arbitration Program" proposé par Ripoff Report pour la modique somme de 2000 dollars. Ce service vous offre la possibilité de rétablir la vérité en laissant les "arbitres" du site faire une contre-enquête sur le scandale dans lequel on vous a impliqué.
Evidemment, quand un filon est bon, les chercheurs d'or se précipitent dessus. Et Ripoff Report n'est donc pas le seul sur le créneau de la dénonciation tous azimuts. Or, si en France nous sommes juridiquement protégés de telles dérives, il n'en est pas de même ailleurs. Et que se passe t-il quand un Français se retrouve coincé dans une affaire montée de toutes pièces contre lui ? Rien, absolument rien. Comme on a pu le constater à de nombreuses reprises, les lois Françaises ne s'appliquent pas à l'étranger.
Préalablement à la rédaction de cet article nous avons été alertés sur ces pratiques par un diplomate français, lui-même victime de ce type de dénonciation. Démuni devant l'ampleur de l'affaire et dépassé par l'étalage de cette fausse histoire sur le net, il nous a demandé si nous pouvions relayer son histoire et a accepté de témoigner.
Romain Serman, un cas d'école
Il y a quelques temps, Romain Serman a été informé qu'un article le concernant avait été publié sur le site Inner City Press. Cet article le dépeint comme un homme ayant été arrêté à New York pour "tentative d'achat de cocaïne" et refus d’obtempérer. Pour preuve des délits, Inner Press publie le procès verbal établi à l'occasion par le policier en charge de l'arrestation. Romain Serman dément fermement chacun des faits qui lui sont reprochés, mais rien à faire, cette histoire empoisonne désormais son quotidien sans qu'il ne puisse rien y faire.
Bien entendu, nous avons tenu à vérifier par nous-même l'innocence de Romain Serman des faits dont on l'accuse. Pour ce faire, nous avons pu nous procurer un document officiel de la police de New York confirmant qu'il n'existe aucune trace d'une telle affaire dans ses archives.
A la lecture de l'article, au premier coup d'oeil, on devrait déjà se méfier. Ce site internet, Inner City Press, qui dénonce le scandale Romain Serman, n'a pas fière allure. Mais après tout, le contenu doit toujours primer sur le contenant. Cet article semble dénoncer des faits avérés, appuyés sur un récit circonstancié et étayés par des documents officiels !
Analyse
Comment distinguer une accusation fantaisiste d'un travail journalistique, ce que prétend être cet article ? Indépendamment du média utilisé (qui constitue déjà un bon indice), il convient de s'attacher aux documents produits pour étayer les propos.
Premier constat : les liens présents dans le corps du texte renvoient tous vers d'autres articles de InnerCityPress, à l'exception du compte Twitter de Romain Serman et d'une vidéo dans laquelle il s'exprime, deux contenus sans aucun rapport avec les accusations proférées.
Second constat : les informations “révélées” par les autres articles d'InnerCityPress n'ont pas davantage de rapport avec ces accusations. Rien dans tout cela n'étaie les propos tenus, tout cela n'est que du décorum.
Reste la pièce maîtresse de l'oeuvre : le rapport de la police de New York relatant l'affaire. Document solide… si toutefois l'on écarte les nombreuses incohérences qui font soupçonner un faux grossier, ce que nous a confirmé le document officiel du NYPD.
S'il n'est pas possible pour tout un chacun de savoir que l'officier de police censé avoir rédigé le rapport n'existe pas, quelques éléments doivent néanmoins attirer l'attention :
- Le matricule de l'officier n'a pas le bon nombre de chiffres.
- La plupart des rapports de police de la NYPD sont au moins partiellement rédigés à l'ordinateur. Ce n'est pas le cas ici.
- Plus subtil, la graphie employée ne correspond pas à l'usage courant aux Etats-Unis, où l'on apprend à écrire en détachant chaque lettre. A l'inverse, on sait que la plupart des Africains ont pour habitude d'écrire très penché, avec des lettres resserrées et allongées.
Quel était l'objectif d'une telle attaque ? Dans le cas présent la vengeance. En effet, ce diplomate avait eu l'occasion lors de ses fonctions auprès de l'Elysée d'être en totale opposition avec un régime d'Afrique de l'Ouest. Les supporters de ce régime se vengent en lui faisant payer cher son attitude.
5 règles pour estimer la fiabilité d'un contenu
Par principe, il faut questionner tout contenu qu'on peut être amené à lire sur le web (et cela vaut d'ailleurs aussi pour des contenus hors internet). Ces quelques règles permettent de se faire un idée de la valeur de l'information.
- Estimer la crédibilité du site internet. Bénéficie-t-il d'une certaine notoriété ? Est-il une référence dans un domaine particulier ?
- Étudier la propagation de l'information. Est-elle reprise par d'autres sources ? Sont-elles fiables ? Si personne d'autre n'a révélé l'information, c'est rarement qu'il existe un complot international, mais plus généralement que l'information est fausse.
- Confronter les documents fournis à d'autres trouvés sur internet (par exemple Google Image). Ressemblent-ils vraiment à des documents officiels ?
- Lire le contenu des liens utilisés en sources. Lier une affirmation à un texte dense qui traite d'un sujet vaguement proche est une technique fréquente pour crédibiliser un texte qui manque de sources.
- Douter. Tout contenu, quel qu'il soit et particulièrement s'il est isolé, doit toujours être regardé avec circonspection. Un article ne fait pas un truand, que ce soit parce qu'il est manifestement mensonger comme ici, ou par exemple parfois parce qu'il omet certains détails qui permettent de réellement comprendre une situation donnée.
Une fois de plus, on constate qu'il n'est pas aisé de se sortir d'un des pièges que la jungle du net recèle. Et quand bien même les "preuves" fournies ne tiennent pas à l'épreuve du doute et encore à celle de la vérification, une fois que son image est altérée, il est illusoire de croire qu'on peut récupérer sans dommages d'une campagne calomnieuse contre soi.
Dans le cas présent il s'agit d'un diplomate et de personnes peu scrupuleuses, mais demain, la cible pourrait être n'importe quel internaute. Une bonne raison de plus, pour chacun d'entre nous, de ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui circule.
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Rédacteur Hoax
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